
J’ai fait un BEP, un Bac Pro, puis un BTS. Après ça, j’ai eu envie de mieux comprendre l’économie. Je suis donc allé en Licence 3 de Banque, Finance et Contrôle des risques. Mais c’était très abstrait par rapport à mes anciennes études, où j’étais toujours sur le terrain, en stage ou alternance. J’ai donc décidé de me réorienter en Licence Pro Banque.
J’étais en alternance dans une filiale du Crédit du Nord, à Lyon. On gérait d’énormes portefeuilles, c’était valorisant. Puis ils m’ont proposé un CDI dans une autre agence, un peu reculée. J’ai beaucoup appris en termes de gestion de l’humain, notamment face à des clients énervés....
Mais je passais les commandes, remplissais le distributeur, je mettais les pièces dans les tubes de cartons… Au bout de 6 mois, j’avais fait le tour.
Je me suis mis à m’endormir de plus en plus souvent ! Au guichet… et même en réunion en petit comité ! Je me suis mis à réfléchir à quoi faire. J’ai pensé à tout : pilote d’hélicoptère, grutier... Et j’ai pensé aux métiers de bouche : boulanger, pâtissier... Mon père est restaurateur et maître d’hôtel, ça m’a inspiré.
Un ami m’a dit “Je te verrais bien en boucher”. Et un jour, un client restaurateur m’a proposé me faire visiter les abattoirs de Corbas (énorme plateforme pour Lyon et sa région). Je me suis dit “Ca va être horrible, ca va me calmer”. Mais malgré le froid et les carcasses, je n’étais pas mal à l’aise. J’ai trouvé ça magnifique. Je suis retourné à l’agence, mais je repensais à l’abattoir.
En 2014, j’ai rencontré un boucher, Gilles, qui m’a présenté tout le métier. J’ai fait un stage avec lui, de 5h du matin à 20h tous les jours. Au bout d’une semaine, je me suis dit “C’est de la balle”. Je n’avais plus du tout envie d’aller à l’agence !
Le syndicat de la boucherie m’a alors conseillé consulter le FONGECIF qui pourrait m’aider dans mon processus de reconversion.
En 2015, j’ai fait trois stages, puis quitté l’agence et commencé mon CAP boucherie. Un jour par semaine, j’allais compléter mon apprentissage avec Gilles dans sa nouvelle boucherie du quartier de la Croix-Rousse, Tete Bech. En 2016, une fois mon CAP obtenu, j’ai eu le choix entre rejoindre une boucherie très traditionnelle, ou très moderne (agriculture bio, viande maturée). J’ai choisi l’option bio, et y suis resté 3 ans.
Et l’année dernière, je me suis associé avec Gilles et Cyrielle (sa femme traiteur) au sein de Tete Bech ! On a eu l’opportunité géniale de racheter 150m² de laboratoire.
On a décidé de monter une équipe et de tout faire nous même : acheter des carcasses, et faire nos propres saucisses, pâtés en croûte... sans passer par des intermédiaires. Beaucoup de gens m’ont dit que c’était un pari risqué, mais j’ai décidé de me faire confiance !
Aujourd’hui, le laboratoire (à Saint-Didier) comporte une salaison (saucisson, charcuterie en tranche), un pôle charcuterie (terrines, pâtés en croûtes, rillettes) et une boucherie-traiteur. Dans ce métier, j’ai vite adoré la technicité. Mais depuis, j’ai surtout réalisé la notion de terroir (de terre, de régions, de races d’animaux…). On la retrouve dans le monde du vin, mais c’est un peu oublié dans la viande depuis l’industrialisation massive...
Chez Tete Bech, on est des “punk de la boucherie”. Pour le moment, personne ne travaille comme nous en France ! Mes journées sont folles : 70% de mon temps, je travaille la viande. Mais je gère aussi les stocks, les achats, nos six employés… Et c’est très dur comme métier : tu te fais des coupures au doigts tous les jours, tu as froid, tu portes des carcasses de 100 kg…
Mais il y a un énorme charme : le matin à 5h30 en partageant un café avec tes collègues, ou en voyant la viande arriver de chez l’éleveur… Tu es comme un enfant face à son cadeau de Noël !
Celui qui pense pouvoir devenir boucher en 4 ans risque vraiment de déchanter. L’artisanat, c’est prendre le temps, c’est respecter la matière. Dans ce monde là, il faut être humble avec soi même.