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[#9] Balance ton Agency (Anne, fondatrice du compte)


balance ton agency

Depuis l’automne 2020, Anne relaie sur son compte @balancetonagency (plus de 70 000 abonnés) des récits anonymes de violences dans le milieu de la pub. Grâce à @balancetonagency, la parole s’est libérée. En 3 jours à peine, 15 000 personnes étaient abonnées. Des comptes similaires ont été créés en cascade : @balancetastartup, @balancetonecolesup, @balancetonannonceur...


Découvrez son parcours, courageux et... glaçant.


La désillusion


« J’ai obtenu un diplôme de l’Ecole Sup de Pub. J’ai toujours voulu travailler dans ce secteur, et mes études m’ont confortée dans l’idée que je voulais découvrir le monde publicitaire, mettre mon envie d’écrire au service de cette publicité, et changer les publicités qu’on visionne.


J’avais conscience dès l'École que ça serait un milieu difficile, intense… Mais j’étais à mille lieux d’imaginer ce que j’allais découvrir ! Aujourd’hui, je reproche d’ailleurs énormément aux Ecoles de nous lancer dans ces milieux sans nous alerter sur nos droits, ou sur comment nous retourner en cas de problème. J’ai rejoint une grosse agence de pub. On se disait tous qu’il fallait mettre directement des noms impressionnants sur nos CV.

En stage, j’ai dû faire mes preuves. Je finissais à minuit tous les soirs. Puis j’ai fait 6 mois de CDD. J’ai vécu 1 an d’instabilité professionnelle maximale, et de travail intense. Et en CDI, ton salaire, de 1500 euros, est catastrophique par rapport au travail que tu fournis, c’est-à-dire un travail non-stop.

Je suis malgré tout restée 4 ans. J’aimais beaucoup cette sensation de partir “de rien”, de présenter des idées créatives, et de vivre la consécration de les voir en affichage. Quand on est très jeune, c’est un objectif. On se dit : “Mon idée va être concrétisée dans un film, dans une radio…”. C’est notre moteur à toutes et tous, du moins au début.


C’est pour ça qu’on se contente d’une paie médiocre. On se dit par ailleurs qu’il suffit de faire la campagne du siècle, gagner le prix qui va bien, pour voir notre salaire doubler… à minima. Mais j’ai fini par ne plus me contenter de ce salaire. J’ai demandé une augmentation, et on m’a donné... 200 euros ! Mon boss, posé comme un prince sur sa chaise à roulettes, m’avait dit : “Alors, heureuse ?”.


Peu après, j’ai appris que mon Directeur artistique de l’époque, qui avait moins d’ancienneté que moi, était mieux payé… ! Je me suis pris la violence de l’inégalité salariale en pleine face. Je me suis dit : “Est-ce que je vaux moins ? Suis-je moins bonne ?”. Ca a été très dur.

Un jour, lors d’une présentation d’une femme (elle l’avait préparée corps et âme pendant des mois, avait sauté ses pauses déj...), le Directeur de création a dit devant tout le monde : “Arrêtez de regarder ça, c’est de la m*, j’en peux plus de regarder ça, c’est vraiment nul”. En plus, c’était du très beau travail... Elle a débranché son ordi et a quitté la salle en pleurant. Et là, le Directeur de création dit : “Mais elle a ses règles ou quoi ?”.

Personne ne l’a repris. Personne ne lui a dit qu’il était sexiste. Je me suis dit : “Ok. Ca n’est pas normal.” J’ai décidé d’envoyer un mail à la femme, de lui raconter ce qui s’était passé en off, et de lui dire qu’elle avait mon soutien. Et 1 mois avant Noël, on me propose de partir “après 6 ans de bons et loyaux services.” C’était violent. J’ai pris une représentante du personnel, car je ne connaissais pas mes droits. J’avais besoin qu’on me défende.


Elle a dit au RH : “Tu ne vois pas que tout le monde se barre ? Que tout le monde fait des burn-out ? Qu’il faut qu’on arrête de proposer des ruptures conventionnelles tout le temps ?” Et le RH lui a répondu : “C’est comme ça, c’est la pub, s’ils sont pas contents, ils partent. Et entre nous… t’as déjà vu quelqu’un gagner aux prud’hommes contre notre agence ?”. A leurs yeux, tu n’as aucune chance. Tu ne vaux rien.


La descente aux enfers


J’ai alors pris 2 mois pour moi. Je pensais que le problème venait du fait que j’étais dans une grosse boîte. Une petite agence me contacte, me propose un entretien. Je me dis “Ca fait 6 ans que je suis restée dans la grosse agence, là, je vais négocier mon salaire, voir ce que je vaux vraiment dans une autre boîte”. J’ai réussi à négocier 2500 nets, et du coup j’ai pensé : “Je vais me donner à fond, et en plus, les gens ont l’air bien.”.


Mais je n’ai pu rester que 8 mois là-bas. J’y ai vu des choses atroces. L’ambiance était sexiste, le boss était fan de pornographie et avait décoré tout le bureau en conséquence (écrans, objets)… Je suis partie en arrêt maladie. Je me suis dit “Comment continuer à faire ce métier que j’aime sans me coltiner ces ambiances horribles ?” J’ai décidé d’être freelance. Et un jour, un de mes clients, une boîte de 10 personnes, me propose de les rejoindre.

Ils me proposent un salaire à 3300 nets. Dès mes premiers jours, mon Manager me fait venir dans son bureau, et descend chaque personne une par une : “Lui il est stupide, lui il n’a pas de talent, elle elle est nulle, elle elle est alcoolique...”. Mais le big boss l’aimait beaucoup. On avait beau lui dire qu’on était pressurisés par ce mec, qu’on avait la boule au ventre, il ne nous écoutait pas. Il était sous l’emprise de ce type.

Par la suite, je réalise que l’ancienneté des salariés ne dépasse pas 3 mois. Un jour, un freelance arrivé 4 jours avant et ayant capté direct la dynamique me dit : “Je n’en peux plus de ce que je vois, je me casse.” Il a envoyé un mail au big boss, en nous mettant tous en copie : “Ca fait 1 semaine que je suis là. J’ai vu ça, ça, ça... Ca ne va pas. Fais attention à tes équipes. Tu ne vois pas que tout le monde se barre ?”.


Le lundi, réunion de crise avec tout le monde. Je suis pleine d’espoir. La réunion est catastrophique. Il y a zéro remise en question. J’ai compris qu’une fois de plus, il n’y avait rien à faire, que c’était à moi de partir, que je devais à nouveau chercher un boulot, me donner corps et âme dans une recherche de taf… Je me suis dis : “Bon il te reste 1 semaine avant d’être embauchée en CDI, tu tiens le coup, et ensuite, tu te rebelles.”

Mais mon corps a lâché avant. 3 jours après, je fais une crise de panique si intense à 4h du matin, j’appelle les pompiers, je ne peux plus respirer. Et deux semaines après, on est confinés. C’est la goutte d’eau. Je me suis retrouvée fin mars paralysée. Je faisais des crises d’angoisse toutes les heures, c’était de l’anxiété généralisée. Ca m’arrivait 5 fois par jour. Je ne pouvais plus me lever du lit.

Je ne pouvais plus parler, même pour dire “oui”. J’ai eu tellement peur de cet état. Un truc pète dans ton cerveau. Je me suis dit : “Je ne peux même pas appeler un psy. Ma seule issue, c’est de mettre fin à mes jours”. On n’a tellement pas confiance en nous quand on fait un burn-out, qu’on se dit que c’est nous le problème : “C’est ma faute, je n’ai pas écouté mes envies et/ou mon corps, je mérite cette claque” ou “Je n’ai pas le niveau”...


Pourtant, j’étais bien entourée, j’avais mon copain, ma famille, mes amis. Et malgré ça, j’ai envisagé de commettre l’irréparable. J’ai eu une chance que beaucoup, hélas, n’ont pas… J’ai pris des antidépresseurs, ce qui a mis mon cerveau dans un état encore plus catastrophique. J’ai perdu 15 kilos. Une amie m’a donné le numéro d’un sophrologue. Il m’a donné des exercices pour remuscler mon mental et me donner confiance.


J’ai pu me reconstruire. Et quelques mois plus tard, j’ai eu une proposition dans une boîte de pub. Je me suis dit “C’est bon, je suis d’attaque”. Mais j’avais peur de retrouver un endroit malsain. C’est fou, parce qu’on sait que ça se passe mal dans les agences, mais il n’y a aucun endroit où on peut le dire ! C’est là que je me suis dit : “Je vais créer Balance ton agency”.


Balance ton agency


Je suis arrivée dans ma nouvelle boîte 3 semaines après créé le compte. Un jour, mon boss a jeté la revue Stratégies sur une table : “Balance ton agency : séisme dans la pub”... J’étais le loup dans la bergerie : personne ne devait savoir que c’était moi ! Mais je suis passée sur France Inter, et ma voix n’a pas été modifiée. Mon agence m’a reconnue et... virée. Je me suis dit : “J’ai un truc entre les mains. Il faut que je me donne à fond dans ce projet”.

Et un jour, un Manager d’une de mes anciennes boîtes a hacké le compte, trouvé mon mail, et donc découvert mon identité. Il m’a tendu un piège : il m’a accusée, ainsi qu’une ancienne collègue qui n’y était pour rien, d’avoir lancé Balance ton agency pour faire capoter le rachat de son agence. J’ai révélé mon identité dans un témoignage écrit, pour la protéger... Et bam : il s’est servi de ce témoignage pour balancer aux boîtes : “C’est elle. Attaquez-là”.

Dès le printemps 2021, je me suis retrouvée avec des flics et des huissiers chez moi. Je dénonce des faits gravissimes, et pourtant, c’est moi qui prends ! Le pire, c’est que ce Manager avait agressé sexuellement des femmes. J’ai assisté au procès aux prud’hommes d’une d’entre elles. C’était si insupportable que la victime, assaillie de reproches non-stop, est sortie de la pièce, et s’est évanouie. La justice est parfois d’une violence…


En plus, le délai d’attente aux prud’hommes va jusqu’à 45 mois ! Du coup, on veut se battre, mais quand on a été broyé par le système, on n’a parfois plus la force. Je ne remets pas en cause la justice à 100%, je n’ai pas toutes les pièces, je ne suis pas juge. Mais la réalité est là : les victimes signent parfois des clauses, on leur a acheté leur silence ! Il y a pleins de choses qui ne vont pas. Il y a encore beaucoup de boulot


Mon rêve, c’est de fermer le compte. Mais je ne peux pas. J’ai des messages tous les jours. Dans les périodes les plus intenses, j’en avais 300 par jour. Heureusement, Balance ton agency a un peu changé les choses. Un ancien président d’une association de publicitaires, connu dans le milieu pour avoir agressé sexuellement des femmes, a démissionné suite aux témoignages du compte.

Il y a aussi eu des mises à pied, des licenciements, des réunions de crise… Et une autre chose rendue possible par le compte (suite à 8 longs mois de négociation…), c’est que désormais, un cadre référentiel obligatoire devra être mis en place dans toutes les agences de pub, avec des outils, des procédures, des clauses...., et également la présence de Référents harcèlement.

Ces choses ont été rendues possibles grâce à tout ce qu’on a dénoncé. Tout ça n’était pas dans le vent, on veut que les choses bougent, et elles bougent ! Je suis très fière. Cela dit, je trouve que ça ne va pas assez vite. Mais il faut être patients. Si on veut construire des choses robustes, il faut qu’elles soient construites sur une base solide.


Un jour, je me suis dit : “Si moi-même j’ai peur alors que je porte ce combat, je ne peux pas dire aux gens d’oser et ne plus avoir peur…” C’est pour ça qu’1 an après, en septembre 2021, j’ai décidé d’enfin sortir de l’anonymat en accordant une interview aux Echos Start. Aujourd’hui, je suis freelance, et contre toute attente… j’ai eu pleins de propositions depuis la publication de l’article !


"J’ai obtenu un diplôme de l’Ecole Sup de Pub. J’ai toujours voulu travailler dans ce secteur, et mes études m’ont confortée dans l’idée que je voulais découvrir le monde publicitaire, mettre mon envie d’écrire au service de cette publicité, et changer les publicités qu’on visionne.après le Chapitre 1 Balance ton agency. »



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