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[#12] La communauté Paumé.es de makesense (Aurore, auteure)


paumé.es makesense

Aurore a longtemps travaillé au sein de l'association Makesense, et y a fondé "Paumé.e.s", la communauté des gens qui traversent une période de turbulences existentielles.


En 2021, avec son amie Lucie, elle a écrit le "Guide des Paumé.es", un super bouquin qui apporte, non pas des réponses (trop facile), mais de bonnes questions, des ressources choisies avec soin, des témoignages de paumé·e·s et des conseils d’expert·e·s en paumitude.


La prise de conscience

« J’ai 32 ans, et j’ai grandi en région parisienne. J’ai un profil assez éclectique, j’ai toujours eu un niveau homogène dans toutes les matières. J’ai suivi une voie “classique” pour mon milieu… la prépa. Je précise “pour mon milieu”, car je ne pense pas avoir un parcours classique, mais privilégié : il est “classique” seulement pour une petite frange de la population.


J’ai intégré l’EDHEC (une École de commerce à Lille). Je ne savais pas ce que je voulais faire. J’ai raconté des craques à tous mes entretiens. Quand on me demandait : “Pourquoi ce Master ?”, mes réponses sonnaient vraiment bullshit. Au sein de l'École, je me suis sentie très vite mal à l’aise, pas à ma place. Je n‘étais pas intéressée par les sujets, et en même temps je ressentais cette pression de “rentrer dans le moule”.


En plus, il y avait cette concurrence de “qui fera le job le plus prestigieux avec le plus de zéros à son salaire ?”. Sauf qu’aucun des métiers des Ecoles de commerce ne m’intéressait. Après, tout n’est pas à jeter dans les Écoles de commerce ! Par exemple, rejoindre des assos, apprendre à collaborer… Mais rien qui justifie le prix de l’école. En sortant, j’étais ultra paumée. J’ai postulé à tous les postes possibles.


Ca se sentait que je ne savais pas où j’allais : Wedding planner, Contrôleur de gestion… Il n’y avait aucune cohérence ! Mon premier stage était en Audit interne... très loin de qui je suis. C’est un monde spécial. A la fin, je me suis dit : “Plus jamais l’audit !”. Suite à ça, j’ai voulu rejoindre les médias. J’ai fait un stage au Monde, en régie pub. Je faisais des sites publicitaires en partenariat avec des marques.


Ca m’a pas mal plu : l’ambiance, les gens, le côté créa... C’était sympa, et formateur. Et je dois l’avouer, je trouvais ça un peu “prestigieux” de bosser au Monde. A la fin de mon stage, on m’a proposé un CDI. C’était après la crise de 2008, le marché était bouché, et accepter, c’était faire le choix le plus “safe”. En parallèle, j’avais pas mal de potes dans un délire artiste, bohème... J’ai toujours été attirée par les profils un peu paumés !


Et grâce à eux, je voyais bien qu’il y avait d’autres voies possibles que les voies “post école de commerce classique”. J’ai eu cette chance d’avoir très tôt des ouvertures vers “d’autres possibles”. Mais le vrai choc pour moi, ça a été le livre de Naomi Klein, “No logo”. Elle y dénonce le capitalisme, et il y a plus spécifiquement un chapitre entier sur la pub. Or... c’était exactement ce que je faisais au Monde.


J’ai commencé à binge watcher pleins de documentaires. Et là, j’ai commencé à me dire : “La pub est à l’opposé de mes valeurs”. En plus, certains de mes collègues étaient piégés dans un “prestige par la consommation” dans lequel je ne me reconnaissais pas. La dernière année, j’étais carrément dégoutée de ce que je faisais. Je me suis dit : “Ok, il faut vraiment que je parte”. J’ai mis de côté pendant 1 an, et j’ai tout plaqué.


Je suis partie 5 mois en backpack en Asie du Sud Est. Je voulais me retrouver, j’avais l’impression d’avoir joué un rôle pendant 3 ans, de ne plus savoir où j’allais, ni qui j’étais. Mais j’ai réalisé que partir loin n’était pas forcément la solution. Du coup, je suis rentrée en France… mais j’étais encore dans une sorte de fuite. J’ai déménagé à Berlin. C’était un projet de longue date, je trouvais que cette ville qui me correspondait bien.


J’ai envoyé un mail au Rédacteur en Chef d’Arte Radio en lui proposant de faire un podcast sur Berlin. Je lui ai envoyé le blog voyage que je tenais à l’époque. Et il m’a dit : “J’adore ton style : go !”. Mon podcast s’appelait “Sex Drugs and Minimal”. A Berlin, j’ai beaucoup fait la fête. Mais là-bas, beaucoup de gens restent paumés. Ca me faisait peur. Du coup, après 3 mois, je suis rentrée. Et là, j’ai cherché un métier qui avait du “sens”...


La quête de sens

« J’ai découvert l’association Makesense lors d’une projection d’un docu sur des entrepreneurs sociaux. Je me suis dit : “Ces gens sont géniaux !”. J’ai postulé à un poste de Rédactrice en Chef… et j’ai été prise ! A ce moment, j’ai vraiment senti un alignement des planètes. Je m’occupais de l’écriture et de la gestion de projet au sein d’un média dans les projets sociaux et écolos. Ça comptait pour moi : du coup, mon job avait du “sens”.


C’était très chouette : j’étais moi même, tout en étant hyper nourrie par tous mes collègues passionnés par le “sens”. Mais 1 an après, le média n’avait pas décollé autant que ce qu’on l’avait espéré. Du coup, je me suis retrouvée paumée… dans Makesense ! Avec mes deux collègues Lucie et Simon, on sentait qu’il y avait un truc fort autour de la quête de “sens”. Les gens étaient nombreux à sentir une dissonance entre leur job et leurs valeurs.


On a saisi cette opportunité, et on a lancé “Paumé.e.s”, la communauté des gens en quête de “sens”. Au début, c’était un podcast. En parallèle, j’ai aussi refait un podcast Arte : “Mon job ne sert à rien”. On a créé le groupe Facebook “Paumé.e.s”, puis on s’est dit qu’on allait proposer des ateliers d’intelligence collective, sur le modèle de ceux déjà mis en place par Makesense pour les entrepreneurs sociaux.


En juillet 2018, on a donc lancé des apéros organisés par des bénévoles autour de pleins de thèmes : “paumé.e dans mon job”… mais pas que : “en écologie”, “en lutte féministe”, “dans mon mode de vie”… La paumitude commence souvent par le “bullshit job”. Puis tu tires un fil et tu as une énorme pelote de laine. C’est tout un système qui est à revoir. En fait, tu passes vite de “Je veux un job qui a du sens” à “Je veux faire la révolution” !


Pendant les apéros “Paumé.e.s”, on voulait un ton drôle et décomplexant, pour ne pas oublier qu’on est en soit ultra privilégiés d’être “paumé.e.s”, qu’on fait partie des 20% les plus diplômés et aisés. Aujourd’hui, la communauté a grandi et s’est étendue à toute la France : 8 villes, 250 apéros réunissant 3000 participants,

200 000 écoutes du podcast, 20 000 membres sur le groupe Facebook...


Mais après 3 ans et demie, je commençais à être fatiguée, notamment par la ville, que je ne supportais plus. J’avais la sensation d’être une consommatrice : de culture, de relations, de vêtements… et le Covid a accéléré cette prise de conscience. Du coup, avec 11 potes, on s’est exilés en Bretagne. On a mis en pratique le mode de vie utopique de vivre ensemble à plusieurs, et à la campagne.


Quitter la ville après 12 ans a été extrêmement facile. Dès que je reviens à Paris je sais que j’ai fait le bon choix de partir. Fin 2020, j’ai lancé “La Brèche”, avec 3 collègues : ce sont des programmes de deux semaines, en ligne. Le mantra, c’est : “Le monde d’après, tout de suite, maintenant”. Car le Covid a mis en évidence l’absurdité d’un système et l’urgence d’en changer.


“La Brèche”, ce sont donc quatre programmes :

- Le premier : “Se déconstruire pour mieux bâtir”, pour réaliser qu’on a des privilèges qui entraînent une domination sur l’autre.

- Le deuxième : “Quitter la ville”.

- Le troisième : “Résister en ville”, pour s’initier à la désobéissance civile. Le quatrième : “Les bullshit jobs”, pour faire un “job du monde d’après”.


Je suis convaincue qu’aujourd’hui, si le monde va mal, c’est parce qu’on est imprégnés, parfois sans s’en rendre compte, d’une idéologie néo-libérale et patriarcale. Or c’est en se mettant au service des autres et de l’environnement qu’on y arrivera. Il n’y a pas de développement personnel sans développement collectif… et inversement. A mes yeux, le “sens”, c’est justement l’aller-retour entre les deux. »


Le Guide des paumé.es

Sonia (i.quit) : Comment as-tu eu l’idée d’écrire ce “Guide des paumé.e.s” ?

« En août 2020, avec ma collègue Lucie, on a passé 1 mois à la campagne. Et on a décidé d’écrire un “Guide des paumé.e.s” (dans leur job, leur mode de vie, leur engagement, leurs besoins…). On avait amassé tellement de références, de questions, au sein de la communauté, des événements, du groupe Facebook… On voulait tout rassembler dans un endroit. Et l’écrire à deux, ça a permettrait de se faire des retours mutuels, et de se rebooster. »


Comment votre guide est-il structuré ?

« La vie est un cheminement. Du coup, on a choisi de représenter “l’archipel de la paumiture”. Tu visites différentes îles : l’île du travail, l’île de l’engagement, l’île “moi et les autres”, l’île “mode de vie”.


Et il y a des sous-rubriques : “paumé.e dans mon chômage”, “paumé.e dans ma reconversion”, “paumé.e dans mon mal-être”... Chaque chapitre commence par un long article sociologique ou philosophique. Puis il est sous-découpé en chroniques : il y a un mix de chiffres, de références, de points de vue…


Et surtout, il y a beaucoup de témoignages, car le guide voulait reprendre la structure des apéros “Paumé.es”, divisés en ateliers “inspiration” et atelier “bonnes questions”. Les témoignages, c’est ultra fort. Ca permet de se dire : “Je ne suis pas seul”.


Il y aussi des “GPS : Géniales Pistes à Suivre”. On ne se sentait pas trop de donner des conseils à proprement parler… Du coup, il faut plus voir ça comme des questions à se poser. »


Pendant l’écriture, quelles ont été vos difficultés ?

« Lucie et moi, on a pas mal ressenti un “syndrome de l’imposteur”. Parfois, tu as l’impression qu’un chapitre se déroule bien, et en le lisant de bout en bout, t’as l’impression que c’est complètement creux, que ça ne sert à rien. »


Et quels ont été vos meilleurs souvenirs ?

« On a vécu des moments assez chouettes. On se disait : “On fait un objet drôle, une sorte d’anti-guide de développement personnel”. En plus, on a bossé avec une super illustratrice, Aurore Carric. Le résultat est super joli ! »


A côté, tu étais toujours épanouie chez Makesense ?

« Oui, car c’est une organisation géniale. Il y a une remise en question constante de là où ou va. Et les bénévoles sont supers... Personnellement et collectivement, c’est une expérience extraordinaire. Mais après 3 ans, j’ai eu envie d’autre chose. Du coup, j’ai quitté l’organisation en décembre 2020, à peu près en même temps que la fin de la rédaction du guide. »


Aujourd’hui, qu’est-ce que tu fais ?

« Mi janvier, avec Lucie, on a envoyé notre guide en impression. Et durant les premiers mois de 2021, j’ai eu pas mal à faire avec le lancement.Aujourd’hui, je suis toujours bénévole chez “La Brèche” (les quatre programme autour du “monde d’après, tout de suite maintenant”, lancés fin 2020). »


Tu as des projets pour la suite ?

« J’ai un projet de documentaire sur le wacking, une forme afro-américaine de la danse de rue qui provient des clubs homosexuels des États-Unis. Et j’aimerais continuer à essayer d’incarner d’autres modèles de faire et vivre ensemble ! »

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