
Tu es convaincu d’avoir atteint ton pic intellectuel pendant les cours de spé math du Lycée ? (Bon, si tu es astronaute ou neurochirurgien, ça ne marche pas).
Après des années à avoir assimilé un certain nombre d'aptitudes et de codes (réciter un cours par coeur sans le comprendre, exceller dans l’art de prétendre être passionné par la mission de la boîte en entretien...), tu te retrouves aujourd’hui avec un intitulé de poste en anglais finissant par “Manager”, alors que tu ne gères pas grand chose ni grand monde ?
Il est possible que le brown-out te guette… s’il ne s’est pas déjà emparé de toi.
C’est quoi, le brown-out ?
La Harvard Business Review le définit ainsi : “baisse de l’engagement des collaborateurs résultant d’une perte de sens au travail, d’un manque de compréhension du pourquoi de leur mission et d’une absence de mise en perspective de leurs tâches.”
Mais c’est David Graeber, l’auteur du célèbre “Bullshit jobs”, qui a évoqué ce phénomène pour la première fois, en 2013. Celui-ci découlerait de la multiplicité de métiers inutiles qui ont été créés suite à l’incroyable progrès technologique de la deuxième moitié du XXème.
Autrement dit, le salarié n’est pas épuisé par la charge (burn-out) ou par l’ennui (bore-out) : il est parfaitement capable et alerte, mais sa motivation est proche du néant.
Que risques-tu à ne rien faire face à ce sentiment d’inutilité et d’absurdité à passer tes journées sur ce cher et tendre Pack Office ou en call avec Roger, ce client tout le temps vénère qui a l’air de croire que vous avez gardé les moutons ensemble ?
Les conséquences du brown-out
1- Penser que tu te gâches
Soyons honnêtes : combien de salariés du tertiaire autour de toi affirment avec certitude être au max de leurs compétences intellectuelles ?
Et pour cause : à mesure que le monde qui nous entoure s’est complexifié, il a sollicité des expertises de plus en plus variées et spécifiques… et introduit des tâches tout aussi spécifiques, parfois vides de sens et de réel challenge intellectuel.
Aurore Le Bihan le résume très bien : « C’est le manque de finalité du travail qui pèse, parce qu’on ose par exemple s’interroger sur l’utilité de passer ses journées à faire des slides. Nous avons l’impression de faire du travail de mauvaise qualité par rapport à ce que nous faisions auparavant et/ou par rapport à notre potentiel. »
Ah, les slides <3 Tout est dit.
2- Être (très) triste
Comme en témoigne cette ancienne étudiante de Sciences Po dans La révolte des premiers de la classe, de Jean-Laurent Cassely : « On n’apporte aucune valeur ajoutée à la société. On passe notre temps à pisser dans un violon, avec des clients qui, en face, ont suivi le même cursus que nous et qui eux-mêmes sont tristes… et on est tous là en train de se mentir. »
Il est indéniable que les salariés ne trouvant pas de sens y sont (très) tristes : et finalement, si ce Manager ou ce client est si infâme avec toi, il est sûrement en proie à un brown-out - ou un quelconque syndrôme en “out”, d’ailleurs - de l’extrême. Ce qui ne lui octroie pas le droit de te traiter ainsi, bien évidemment. Mais tu saisis l’idée.
Il a par ailleurs été prouvé qu’un brown-out peut entraîner un glissement lent vers un état dépressif dont les conséquences peuvent aller jusqu’à envisager le suicide. A ne surtout pas prendre à la légère donc.
3- Remettre en cause de ton humanité (et oui, rien que ça !)
Même si on rêve tous de gagner au loto, la réalité, c’est que même si c’était le cas, on continuerait sûrement à travailler : car le travail n’est pas uniquement une source de revenus, mais aussi et surtout une manière incontournable de s’accomplir individuellement et socialement.
Du coup, trouver qu'on passe 45 heures par semaine à brasser du vent... c'est pas top.
Jean-Laurent Cassely le résume ainsi : « Perdre le sens de son action au quotidien (...) est un désespoir qui vient remettre en question notre humanité profonde, car il est difficile de vivre sans avoir une image claire de sa contribution à la société. »
Et David Graeber va même plus loin, en décrivant les conséquences des brown-outs sur l’ensemble de la société : entraîne “des nuisances morales et spirituelles profondes” et même « une cicatrice qui balafre notre âme collective. » Flippant.
Comment se sortir de là ?
Tu quit. Fin.
Bon, bien sûr, ça n’est pas si simple. Et il y a quelques solutions intermédiaires.
Par exemple, parler à ton management (si tu as la chance de pouvoir lui faire confiance) :
- Demander, par exemple, des éléments de sens sur tes missions : Quelle est la stratégie long terme ? Pourquoi on fait tout ça ? A qui ça va bénéficier, quand et… comment ? etc. ;
- Demander une mobilité interne (ce qui suppose bien sûr que ton “problème” vient uniquement des tâches et pas de la mission et/ou du secteur…) ;
- Glisser subrepticement (attention, tricky) que tu as besoin qu’il crée de meilleures conditions de bien-être et de sens au travail (en étant le relai de la culture et de la stratégie de la boîte, par exemple)...
Tu peux aussi lancer un side-project (article à venir sur ce sujet), qui permettra de pallier ton manque de sens en te permettant de faire des choses qui ont un vrai impact à tes yeux en dehors de tes horaires de travail.
Mais en réalité, une fois que le stade du brown-out est atteint, la seule issue est souvent bel et bien de quit…
Mais pour faire quoi ?
Le sujet de la reconversion étant une boule à mille facettes, il faudra hélas attendre de futurs articles pour que je te donne mes (humbles) insights dessus.
Stay tuned !